LEGO Super Heroes 2021 : l’interview des designers

Après mon interview des designers LEGO Harry Potter, j’ai aussi eu l’opportunité d’interviewer pendant les Fan Media Days l’équipe LEGO Super Heroes : Jesper C. Nielsen (Creative Lead, Senior Design Manager) et Mark Stafford (Senior Designer, qui a notamment réalisé le récent LEGO Marvel 76178 Daily Bugle). Ci-dessous mon debrief de ces échanges.

Côté organisation d’abord, il n’y a pas une équipe de designers DC Comics d’un côté et une équipe Marvel de l’autre chez LEGO : il n’y a qu’une seule équipe de designers LEGO Super Heroes, qui peuvent venir travailler indifféremment sur les deux licences. Même si, comme tout le monde, les designers ont souvent une appétence plus particulière pour l’une que pour l’autre.

Pour autant, un crossover officiel DC Comics / Marvel n’a « quasiment aucune chance d’arriver chez LEGO » tant ce serait un cauchemar juridique à gérer (note : c’est déjà arrivé de nombreuses fois dans les comics, donc rien n’est impossible !).

Concernant la conception des sets basés sur les comics (par opposition aux produits dérivés des films), il n’y a pas vraiment de règle. Le brief n’est pas forcément d’avoir tel type de véhicule à l’intérieur, ou bien un super héros spécifique, cela dépend beaucoup des idées de chacun : le process est beaucoup moins cadré que pour des sets basés sur des films, où le contenu est validé par les Studios. Les designers ont évidemment beaucoup plus de liberté lorsque les sets ne sont pas basés sur un film à venir.

Mais pour le choix du ou des héros principaux d’une boite type comics, il faut absolument que le personnage soit déjà bien établi. Comprendre : « il faut qu’il parle immédiatement à un enfant de 7 ans », d’où par exemple la forte présence de Batman ou Spider-Man chez LEGO. Et c’est du coup aussi tout l’intérêt d’un set plus adulte comme le gros 76178 Daily Bugle de pouvoir y glisser quelques personnages plus sombres et des clins d’Å“il qui parleront surtout aux fans de comics plus âgés.

J’ai posé des questions sur les problèmes potentiels de gestion des droits quand un personnage est à la fois au casting d’un film et dans le line-up d’un set Comics mais, sujet trop sensible, j’ai eu droit à un bottage en touche. Même si Mark a par exemple expliqué qu’il n’avait volontairement pas mis Mary-Jane dans son Daily Bugle car MJ (interprêtée par Zendaya) est un personnage important des nouveaux films Spider-Man.

Pour les sets accompagnant la sortie d’un film, il est toujours très compliqué de travailler aussi longtemps en avance, surtout avec les films actuels où la part importante d’effets spéciaux permet de faire des modifications jusqu’au dernier moment. Il est donc courant que les informations fournies par les studios de production aux designers LEGO se révèlent au final être très éloignées du film, soit parce que les costumes ou décors définitifs ont évolué depuis les premiers croquis, soit parce que le scénario lui-même a été modifié. Les exemples ne manquent pas, du faux Mandarin dans les sets Iron Man 3 pour garder le twist secret, au Quinjet de Captain Marvel, gris chez LEGO mais blanc à l’écran (et que le designer voulait initialement faire en blanc mais dont la couleur avait dû être changée… à la demande de Marvel).

D’où le confort aussi de pouvoir travailler sur la vague Marvel 2021 The Infinity Saga, avec des films déjà sortis : cela permet de disposer de beaucoup plus de matière et de pouvoir créer des sets ou des figurines beaucoup plus fidèles à ce qu’on peut voir à l’écran. J’ai essayé de savoir si cette approche Infinity Saga aura vocation à continuer à être déclinée dans les années à venir, façon Ninjago Legacy pour l’univers Marvel : mais même sans rentrer dans le détail des sets, cela reste un sujet de stratégie future donc à nouveau bottage en touche de la part des designers.

 

Concernant le très beau Benatar 76193 The Guardian’s Ship, beaucoup auraient aimé plutôt un joli Milano UCS à la place. La principale raison du choix du Benatar plutôt que du Milano tient au fait que c’est ce vaisseau qui est visible à la fin du film Avengers: Endgame, ce qui pour LEGO ouvre théoriquement davantage de possibilités de jeu pour les plus jeunes qui voudraient rejouer le film et imaginer les futures aventures de l’équipe. Surtout qu’on y voit Thor embarquer avec les Gardiens de la Galaxie à la fin du film.

Avec la crise du Covid, les plannings de sortie de films au cinéma ont été beaucoup chamboulés, avec de multiples reports : Black Widow, Shang-Chi and the Legend of the Ten Rings, Spider-Man: No Way Home, The Batman, Doctor Strange in the Multiverse of Madness…

Compliqué à gérer quand tout est déjà calé côté LEGO, certains sets ont ainsi quand même été commercialisés à la date prévue malgré le décalage du film correspondant. Comme le set Black Widow 76162 Black Widow’s Helicopter Chase par exemple, sorti plus d’un an avant l’arrivée du film au cinéma.

D’autres ont pu être décalés à temps : les sets The Eternals étaient initialement prévus pour début 2021, et ont pu être repoussés au fur et à mesure du décalage du film. Mais ce n’est pas simple car même quand un film hérite d’une nouvelle date de sortie, rien ne dit qu’elle sera définitive, la situation sanitaire peut à nouveau contraindre les studios à décaler à nouveau de quelques mois l’arrivée en salles.

Et le décalage de certaines références a évidemment des impacts sur la suite du programme côté LEGO, tout en amenant d’autres problématiques comme un manque à gagner dans les revenus à la date initiale puisque les sets ne sortent plus à la date prévue (donc les prévisions de vente de la gamme concernée vont forcément évoluer), des sujets logistiques, de communication (catalogues à modifier), etc.

D’ailleurs, en parlant de cinéma, Jesper et Mark ont aussi expliqué pourquoi il n’y avait pas plus de sets basés sur les séries Disney+, alors que c’est l’une des grosses actualités de 2021 avec les séries WandaVision, The Falcon and the Winter Soldier et Loki.

La principale raison pour cette sous-représentation des séries TV, en plus de simplement ne pas pouvoir tout adresser vu le rythme soutenu des sorties Marvel, c’est le timing : la production d’une série TV se fait sur une fenêtre beaucoup plus courte que celle d’un film. Ce qui rend plus compliqué de pouvoir commercialiser des boites dérivées au bon moment par rapport à la diffusion de la série vis-à-vis des délais habituels de conception et de validation des sets chez LEGO.

Pas impossible (la série animée What If ?… a finalement quand même le droit à deux références : 76194 Tony Stark’s Sakaarian Iron Man et 76201 Captain Carter & The Hydra Stomper) mais cela peut jouer lorsqu’il faut prioriser les différents projets. D’où aussi le fait que ces séries Disney+ ont plutôt été adressées via le prisme des minifigs à collectionner avec la nouvelle série 71031 Marvel Studios Collectible Minifigures Series.

 

Concernant le set LEGO Marvel 76178 Daily Bugle designé par Mark (mais pas tout seul, le chouette taxi new-yorkais est par exemple l’Å“uvre d’Adam Grabowski), son gros challenge était d’arriver à avoir un bâtiment aussi gros qui soit facile à construire (donc avec des étages empilables), solide et avec un accès facile à l’intérieur aménagé, vu que l’architecture extérieure n’est pas passionnante ni spécialement esthétique (« boring », pour reprendre ses mots).

L’idée de la façade amovible présentait le gros avantage de pouvoir ouvrir le bâtiment depuis l’avant, sans avoir besoin de le déplacer ou de le retourner sur son étagère. Et ce sont les rails qui ont permis de valider la solution en apportant toute la rigidité nécessaire. Dommage pour le choix de la couleur grise plutôt que le tan, mais Mark estime que cela permet de mieux faire ressortir les différents personnages (note : le fait que les rails n’existent pas en tan a dû peser aussi dans la balance, cela évitait de créer un nouveau coloris).

Et si l’explosion avec Green Goblin permet de donner une jolie dynamique et de casser le côté boring de cette façade, ceux qui voudront un bâtiment intact pourront sans problème réparer la fenêtre sans avoir besoin d’aller chercher des pièces ailleurs : Mark tenait à ce que toutes les pièces nécessaires pour une fenêtre intacte soient présentes dans le montage de l’explosion.

Mark a préféré un gros immeuble moderne tel qu’il est souvent représenté dans les comics, même si beaucoup de monde a en tête le Flatiron building utilisé dans la trilogie Spider-Man de Sam Raimi.

A noter que le Flatiron est un trademark qui aurait nécessité la négociation d’une licence supplémentaire pour que LEGO puisse l’utiliser…

Au sujet de la liste des figurines incluses, Mark n’a pas pu intégrer tous les personnages qu’il souhaitait initialement (il voulait par exemple les Sinister Six ou bien tous les habituels compagnons de Spider-Man), soit parce que cela faisait trop de nouvelles figurines pour la boite, soit parce que Marvel (qui avait son mot à dire) ne le voulait pas. Mais il a quand même été possible d’inclure certains personnages plus adultes comme The Punisher ou Blade, qui n’auraient sinon eu que très peu de chances d’arriver un jour directement dans un set « classique ».

Pour finir l’interview, au risque de décevoir ceux qui espèrent régulièrement obtenir Stan Lee dans un set (moi le premier) : malgré ses nombreux caméos dans les films, Stan Lee est considéré comme un personnage réel et n’est donc pas inclus dans les licensing deals avec Marvel. Dommage !

Merci à Mark et Jesper pour ces échanges !